L’évolution des villes du Gabon de 1936-1955

Front de mer  jouxtant  l’Église catholique Sainte Marie de Libreville @ DR

 

Libreville, Gabon (Gabonactu.com) – L’historien Fred-Paulin Abessolo Mewono, par ailleurs chercheur à l’Institut de recherche et des sciences humaines (IRSH) de Libreville  dresse, par un travail bien fouillé le tableau évolutif des grandes villes gabonaises, en mettant également en évidence les atouts et les faiblesses de certaines municipalités.


L’accentuation de la municipalisation des villes au Gabon ,1936-1955.

Cette publication vient insister sur le renforcement, les mutations et la généralisation aux plus grandes agglomérations du Gabon, de ce nouvel échelon d’administration et de gouvernance qu’est la municipalité. La vitalité financière, la croissance démographique et spatiale sont les facteurs majeurs qui ont milité en faveur de l’élévation au rang de commune mixte et plus tard de commune de plein exercice des centres urbains du Gabon. L’accentuation de la municipalisation vient aussi comme début de solution aux nombreuses questions sociales, mais surtout aux problèmes politiques que commence à poser la jeune élite gabonaise.

Libreville commune mixte depuis le 3 Octobre 1911 et Port-Gentil depuis le 28 décembre 1936 sont régies par les dispositions de l’arrêté du 28 décembre 1936 pris en application du décret du 17 avril 1920 qui donnent au Gouverneur général l’Afrique Équatoriale Française (AEF) le pouvoir de créer des communes mixtes et d’en définir l’organisation. Libreville compte alors 792 européens et 12 000 autochtones, et Port-Gentil 337 européens et 4700 autochtones. Ces villes se répartissent en deux zones distinctes : un centre européen et des quartiers indigènes. Mais elles présentent déjà les caractéristiques d’une communauté urbaine. Le gouverneur général EBOUE dit à cet effet dans une circulaire du 8 novembre 1941 Libreville répond aux critères définis pour l’accès au statut de commune de plein exercice.

Les enjeux financiers et politiques de l’avènement d’une vie municipale indigène

Il n’a pas été fait application au Gabon du décret n°378 du 29 juillet 1942 fixant les règles d’institution, d’organisation et d’administration des communes indigènes en Afrique équatoriale française. Cela a peut-être été regrettable car bien que ce décret parait dans une certaine mesure dépassé par l’évolution, il restreint aux évolués en pratique le droit de cité. Mais il a marqué une étape importante dans l’avènement d’une vie municipale proprement africaine. L’arrêté du lieutenant-gouverneur du Gabon créant une chefferie Mpongwè à Glass parait lui aussi, dans une certaine mesure, motivé par l’absence de représentation des intérêts directs des villages indigènes au sein de l’assemblée municipale de la commune mixte.

Au point de vue financier, le budget de la commune de Libreville est de 2 270 000 francs (les recettes ordinaires étant de 1 222 000 francs, le budget local apportait une subvention de 1048000 francs) – celui de Port-Gentil s’élève quant à lui à 1 146 763 francs, le budget local ayant accordé une subvention de 43 101, 88 francs. Il n’est donc pas possible de songer à n’alimenter les budgets de ces communes qu’avec ces ressources d’ordre exclusivement communal. Il faut, en effet, les équilibrer de façon à assurer les services publics et les besoins collectifs pour lesquels ces structures sont créées. Les services du Gouverneur général de l’AEF ont donc estimé qu’il faut largement venir en aide à ces organismes naissant en leur donnant les moyens de se développer et à terme se suffire à eux-mêmes.

Ces quelques chiffres font apparaître la modicité des ressources de ces deux communes. Et elles ne sont pas en mesure d’assurer les charges très lourdes d’une administration municipale autonome, à tel point que les services administratifs des communes mixtes sont assurés par des fonctionnaires du département.

Au point de vue politique, la population européenne du Gabon est très jalouse de son prestige persuadé que l’avenir de la colonie repose sur elle. La population indigène, par contre, exception faite d’une minorité d’évolués, est fort éloignée des conceptions municipales à la mode française. De manière pratique, la législation applicable dans la métropole tant en matière de conseils généraux que de municipalités ne doit pas a priori être démarquée à l’usage dans les des territoires d’outre-mer. La loi municipale du 5 avril 1884 est l’expression d’une vie municipale séculaire, elle suppose une armature sociale solide. Or dans les grands centres de l’AEF, le nombre de vagabonds est supérieur à ceux qui rendent service à la société. Mais ils sont des électeurs potentiels. A terme, les Européens vont pratiquement être éloignés de la vie municipale si le principe du suffrage universel pour l’élection d’un conseil municipal est adopté. La solution est à chercher en dehors des précédents métropolitains dans une création générale.

Lérection de Libreville et Port-Gentil en commune de plein exercice

En avril 1955, est promulguée la loi n°55-1489 du 18 novembre 1955 relative à la réorganisation municipale dans les possessions française d’Afrique (Afrique occidentale française, Afrique équatoriale française, Togo, Cameroun, Madagascar). En son article 1er, la loi stipule que : « dans les territoires d’Afrique occidentale française, de l’Afrique équatoriale française, du Togo, du Cameroun et de Madagascar, peuvent être créées des communes de plein exercice par décret pris sur le rapport du Ministre de la France d’outre-mer, après avis de l’Assemblée territoriale intéressée, pris à la majorité absolue des membres la composant». Du fait de cette nouvelle législation, Libreville et Port-Gentil, les deux plus grandes communes du Gabon, à cette époque, sont élevées au rang de commune de plein exercice. Cette réforme est motivée par le souci d’associer pleinement les populations des deux centres urbains à la vie municipale. Elle se justifie également par le développement de ces deux villes et par le degré de maturité politique de leurs habitants. Mais la réforme municipale aurait été incomplète en ne portant que sur les agglomérations de la zone côtière.

Le statut intermédiaire de communes de moyen exercice pour les villes de l’hinterland

 

L’intérieur du pays, resté longtemps en retard sur un certain nombre de plans, a subi des évolutions qui appellent l’élargissement des institutions publiques et qui permettent d’envisager l’extension du système communal. N’est-il pas normal, en effet, que l’équipement  économique et social du territoire soit suivi par un progrès parallèle sur le plan de l’organisation administrative ou politique ?

Le degré d’évolution de certains centres de l’intérieur du pays rend leur érection en commune non seulement possible, mais aussi souhaitable. Il faut cependant agir avec prudence, et la formule retenue est celle de la commune mixte. Il s’agit d’une évolution impliquant d’inévitables tâtonnements. De nombreux détails d’organisation nécessitent une mise en place délicate.

Sur le plan financier, on ne peut présager de résultats que seule l’expérience est à même de révéler. La solution préconisée est la plus économique et la plus sûre. Il n’y a pas à craindre une cristallisation au stade de la commune mixte, puisque la loi du 18 novembre 1955 stipulait, en son article 53 que : « les communes mixtes actuelles et celles qui seront créées par arrêté du chef de territoire après avis de l’assemblée territoriale pourront être érigées en commune de moyen exercice… »

Par la suite, du fait d’un degré de développement et de prospérité suffisant, on peut franchir un nouveau pas et envisager le passage au stade de commune de moyen exercice. En effet, les dispositions impératives de l’article 49 de la loi de 1955 énonçaient que : « Ne peuvent être constituées en commune de moyen exercice que les localités ayant un développement suffisant pour qu’elles puissent disposer de ressources  propres nécessaires à l’équilibre de leur budget.» Ainsi le statut de commune mixte constitue une sorte de stage probatoire, dont les résultats déterminent le passage au degré supérieur. Le principe de la création étant posé, il s’agit d’en préciser l’aire d’application et d’arrêter la liste des localités où la mesure peut être viable. De fait on ne peut raisonnablement pas songer à étendre systématiquement le régime municipal à toutes les agglomérations qui souhaitent en bénéficier. Il ne faut retenir que celles qui sont en mesure de faire face aux charges d’une telle institution. Techniquement, quatre centres semblent remplir les conditions nécessaires : Oyem, Bitam, Lambaréné et Mouila qui ont atteint un développement suffisant. Leur vie économique, leur importance administrative ou leur situation des centres de transit, les désignent tout naturellement pour la vocation de commune. Ce sont, d’ailleurs, les choix proposés à l’Assemblée Territoriale. Sur un tout autre plan, il importe de définir des limites territoriales englobant une population suffisante, sans laquelle la nouvelle institution eut été sans intérêt. De même l’on étudie le projet sous l’angle financier, car il ne suffit pas de créer des communes ; il faut aussi qu’elles puissent vivre.

Les esquisses de l’autonomie financière des institutions communales

 

Le système des subventions à la charge du budget local est purement et simplement écarté. La nouvelle organisation, la commune est un progrès, et comme tout progrès elle a un coût. Il était donc naturellement équitable que les frais en soient supportés par les bénéficiaires. Il est difficilement admissible qu’une mesure essentiellement locale, profitant à des zones déterminées, soit financée par les contribuables d’autres localités qui ne bénéficient pas du statut communal. Compte tenu de la situation budgétaire, le budget local n’est pas à mesure de supporter un prélèvement au profit des municipalités. Seule une quote-part de l’impôt personnel, des patentes et des licences perçus sur le territoire est versée aux nouvelles communes. Pour le surplus, les ressources municipales proviennent de centimes additionnels, des impositions au titre de la taxe vicinale, et des taxes supportées par les habitants de la commune.

La première expérimentation du régime communal est faite dans la colonie du Gabon à Libreville, son chef-lieu, Libreville. Quelques années plus tard, Port-Gentil, un autre centre urbain de la côte gabonaise qui présente des caractéristiques semblables à Libreville, est elle aussi érigée en Commune. Plus tard, cet échelon administratif est étendu, progressivement, suivant des critères bien établis, à d’autres agglomérations de l’intérieur du pays. Ainsi, les villes passent du statut de commune mixte à celui de commune de moyen-exercice, avant de devenir des communes de plein exercice. C’est ce statut, qui est en vigueur pour toutes les communes du Gabon avec des attributions et compétences qui peuvent être étendues avec l’application effective de la loi sur la décentralisation

 

 

                                                                                       Fred-Paulin ABESSOLO MEWONO

                                                                                                 Historien, Chercheur à l’IRSH

Membre de l’Observatoire des dynamiques historiques

                                                      et d’analyse des institutions et des politiques publiques

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