Industries culturelles et créatives : Un centre de profit pour diversifier l’économie Gabonaise ? (Tribune Libre )

Du cinéma à la musique en passant par le multimédia ou la filière du livre, les Industries culturelles et créatives (ICC) font l’objet d’un certain intérêt au Gabon en raison de leur potentiel pour l’économie, clairement démontré ailleurs. Lors du Conseil des Ministres du 23 février dernier, des décisions majeures ont été prises dans le sens d’adapter le cadre institutionnel aux réalités du terrain. Au lendemain du lancement officiel de « Dengui », l’annuaire numérique culturel gabonais et à la veille d’un Dialogue National dont les attentes de la communauté artistique misent pour une diversification économique en faveur des secteurs hors pétrole, le dynamisme naissant porté par la création de synergies entre la volonté politique de gouvernants, les créateurs, les investisseurs privés et les entrepreneurs culturels s’avèrent être des impératifs, aux yeux des acteurs de ce secteur

Lors de la rencontre inaugurale de l’Initiative mondiale des entreprises africaines en septembre dernier à New York, le Secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres a déclaré :« L’Afrique comprend certaines des économies les plus dynamiques au monde. Et l’Afrique a plus – beaucoup plus – à offrir. Le moment est venu de reconnaître l’émergence des industries créatives et culturelles africaines sur la scène mondiale ».  Cette sortie est intervenue dans un contexte d’éveil des consciences quant au potentiel des industries culturelles et créatives (ICC) pour le développement économique du continent, notamment après la série de restitution en cours d’objets d’arts africains aux pays d’origine dont le Gabon, des opérations considérées par certains experts comme « l’un des grands enjeux du 21è siècle entre l’Europe et l’Afrique ».

Jusqu’en 2015, la part de l’Afrique était estimée à environ 1% des 1,1 milliard de dollars du marché mondial des ICC. Mais à date, plusieurs organisations évaluent entre 3% à 5% le poids du continent dans ce marché. Et ce, parce que ces activités – relevant bien souvent de l’informel sur le continent – n’ont pas souvent été correctement promues pour ce qu’elles représentent économiquement. Au Gabon, une étude menée par l’OIF dans le cadre du Profil Culturel, situait à moins de 1% du PIB la part des ICC dans l’économie locale. Dans le dernier tableau de bord de l’économie publié par le ministère de l’Economie et des Participations, la part réservée aux ICC est quasiment invisible du fait de sa spécificité, de sa dimension transversale et d’une prégnance de l’informel. C’est justement pour donner du relief à ce pan de notre économie que, lors du conseil des ministres du 23 février dernier, deux projets d’ordonnance ont été pris, notamment le projet d’ordonnance portant protection du droit d’auteur et des droits voisins en République Gabonaise et le projet d’ordonnance modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°016/2023 du 08 août 2023 portant statut de l’artiste et de l’acteur culturel en République Gabonaise. Ces deux leviers majeurs du cadre normatif régissant la politique culturelle du pays, devraient ouvrir la voie à une réelle structuration de ce secteur d’avenir et une professionnalisation des filières qui le constituent.

Les ICC sont en effet identifiées comme étant parmi les industries à la croissance la plus rapide au monde, laquelle serait de l’ordre de 7% par an. Ailleurs dans le monde, les économies tirent parti de cette dynamique depuis longtemps. Aux Etats-Unis, les ICC pèsent plus de 1 000 milliards de dollars en 2021, selon le gouvernement, tandis qu’en Chine, les chiffres de la profession évoquent une croissance annuelle de l’ordre de 14% depuis le début des années 2000.

Si globalement, le continent africain ne pèse encore qu’un poids plume dans le business créatif mondial, certains pays se démarquent. Outre l’Afrique du Sud qui s’érige en référence historique, à l’Ouest du continent, le Nigeria rayonne désormais à l’international avec son industrie cinématographique baptisée « Nollywood » ou son industrie musicale. L’Egypte a également su établir une économie autour de ses séries télévisées et films arabophones qui rencontrent le succès en Afrique du Nord et au Moyen Orient. Le Maroc, quant à lui, tire parti de son attractivité pour les tournages de films internationaux. Près de nous, la Côte d’Ivoire est devenue la plaque tournante d’un secteur culturel sous-régional florissant, en juger par le nombre croissant d’infrastructures, et l’implantation de labels et majors de production musical et cinématographique.

Pour rappel, le champ des ICC englobent dix secteurs : l’architecture, les livres, la presse, l’audiovisuel, la radio, la publicité, les jeux vidéo, la musique, les arts du spectacle et les arts visuels (arts plastiques, photographie, cinéma, arts vidéo, arts numériques, arts décoratifs). Si le réveil africain s’opère peu à peu dans tous les secteurs, celui des arts visuels, le cinéma en particulier, affiche une ferme volonté d’émergence portée par les jeunes. Ils étaient plus de 800 -issus de 48 pays du continent- à candidater pour les différents prix du Mobile Film festival Africa dont la deuxième édition s’est tenue le 8 juin dernier à Rabat, dans le cadre du programme Rabat – Capitale africaine de la culture. Au Gabon, il n’est plus rare de voir des compatriotes triompher lors de nombreux festivals du genre. C’était encore le cas lors des dernières éditions du Fespaco et des Sotigui, où deux poulains de l’écurie des « Studios Montparnasse » ont été primés.

Pour les spécialistes de la question au Gabon, la valeur ajoutée économique des ICC devrait davantage parler non seulement aux dirigeants afin d’élaborer des stratégies gagnantes, mais aux investisseurs privés pour le développement d’un business dont le dynamisme serait porté par les jeunes créatifs locaux.

Hugues-Gastien MATSAHANGA
Hugues-Gastien MATSAHANGA © DR

Ce dynamisme naissant des ICC est aussi porté par la technologie. En effet, cette industrie devrait croître de 12 % entre 2020 et 2025, tirée par l’innovation technologique, avec 186 millions d’amateurs en 2021 contre 77 millions en 2015, selon le dernier rapport de la CNUCED sur l’économie créative mondiale.

La musique n’est pas en reste, car établi à 100 millions de dollars en 2017, une étude de la Banque mondiale estime le marché africain du streaming de musique numérique à 500 millions de dollars d’ici 2025. Même si le nombre d’Africains collectionneurs d’art augmente relativement lentement, l’e-commerce des œuvres d’art et des biens créatifs en général prend peu à peu son envol dans une Afrique qui a gagné le pari technologique, où il est de plus en plus question d’industries créatives numériques.

Placé au cœur de l’Agenda 2063 de l’Union africaine, les ICC y font l’objet d’un plan d’action visant à lever les « obstacles [qui] demeurent au niveau de la fabrication, la production des biens et produits culturels africains » et leur commercialisation sur les marchés internationaux. L’institution panafricaine a, par la suite, consacré son année 2021 à la promotion des ICC. En 2022, c’était au tour de la Banque africaine d’Import-Export (Afreximbank) de rassembler l’écosystème business autour des questions liées au développement des ICC, avec des initiatives comme le Creative Africa Nexus (CANEX) où les transactions, lors de l’édition 2021, se sont chiffrées à plus de 36 millions de dollars.

A ce stade, certains pays tentent de saisir l’opportunité, en mettant en place des stratégies nationales qui incluent l’amélioration de l’environnement des affaires pour les entrepreneurs culturels et créatifs et les investisseurs qui s’intéressent à ces secteurs.

Les remous récemment observés dans le secteur pétrolier sont le signe d’une réelle volonté des Gouvernants de contrôler l’exploitation de ses ressources naturelles. Dans une visée durable et au nom d’une diversification économique tant souhaitée, n’est-il pas temps de faire de la ressources culturelle une alternative à la ressource naturelle ? Mieux, à travers les mécanismes du mécénat et de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) n’est-il pas possible d’établir des synergies pour dynamiser ce secteur à la fois fragile et tourné vers l’avenir ? Nous y croyons.


Par Hugues-Gastien MATSAHANGA, Essayiste, Spécialiste des ICC

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