Une étude colossale réalisée en Afrique révèle que les gorilles et chimpanzés y sont plus nombreux que prévu, mais que 80 % vivent en dehors des zones protégées

CREDIT: ©Zanne Labuschagne/WCS

Libreville, 2 avril (Gabonactu.com) – Une étude colossale réalisée pendant dix ans sur les populations gorilles et les chimpanzés en Afrique Équatoriale Occidentale (AEO) a livré une bonne et une mauvaise nouvelle sur nos plus proches cousins. La bonne nouvelle : les populations de  gorilles des plaines de l’Ouest (Gorilla gorilla gorilla) et de chimpanzés d’Afrique Centrale (Pan troglodytes troglodytes)   sont plus élevées qu’originalement estimée respectivement.
 
La mauvaise nouvelle : la plupart de ces grands singes (80 %) vivent en dehors des zones protégées, et le nombre de gorilles chute de 2,7 % par an en moyenne.
 
Intitulée « Guns, germs and trees determine density and distribution of gorillas and chimpanzees in Western Equatorial Africa » (les armes, les germes et les arbres déterminent la densité et la répartition des populations de gorilles et chimpanzés en Afrique Équatoriale Occidentale), cette étude dirigée par la WCS a été publiée dans le dernier numéro de la revue Science Advances.
 
Cette nouvelle publication a été rédigée par 54 co-auteurs de diverses ONGs et organisations gouvernementales, parmi lesquelles la WCS (Wildlife Conservation Society), le WWF (World Wide Fund for Nature), l’Institut Max-Planck d’Anthropologie Evolutive, l’Institut Jane Goodall, le programme de suivi de l’abattage illégal d’éléphants (MIKE) de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), le Lincoln Park Zoo et les universités de Stirling et Washington, avec la contribution des autorités responsables des zones protégées de six pays. Pour recueillir ces données sur le terrain, les chercheurs ont arpenté la région sur une période de 10 ans à la recherche des gorilles de plaines de l’Ouest et des chimpanzés centraux. Au total, les chercheurs ont passé environ 61 000 jours (équivalent à 167 ans de travail pour une personne) à recueillir des données pour l’étude sur le terrain. Ils ont parcouru plus de 8,700 kilomètres à pied, soit une distance supérieure à la longueur totale du continent africain du Nord au Sud ou à la distance qui sépare New York de Londres, et ils ont couvert une région de 192 000 km2 (équivalent à la taille du Sénégal), dont certaines des forêts les plus reculées du continent africain et ce uniquement afin de compter les nids de grands singes qui ont servi à estimer les populations et leur évolution dans le temps.
 
D’après Dave Morgan, co-auteur de l’étude et membre du Lincoln Park Zoo et Directeur du Projet Goualougo Triangle Ape Project : « Les équipes et partenaires de recherche qui travaillent sur le terrain sont essentiels à la réussite de ces programmes et à la sauvegarde des gorilles et des chimpanzés. Ces études réalisées sur le long terme nous permettent de formuler des recommandations éclairées sur les zones protégées et les stratégies de gestion, afin de venir en aide aux grands singes. »
 
Les auteurs de l’étude estiment que les gorilles sont plus de 360 000 et les chimpanzés environ 130 000 (en tenant compte des deux sous-espèces), des chiffres plus élevés que les estimations initiales. Il y aurait environ un tiers de gorilles et un dixième de chimpanzés de plus que prévu. Ces différences s’expliquent en grande partie par l’amélioration de la méthodologie employée, l’ajout de données sur des zones qui n’étaient auparavant pas incluses, et les prévisions réalisées pour les zones situées entre les sites de recensement.
 
Samantha Strindberg, de la WCS, commente ces résultats : « Nous sommes ravis que les forêts d’Afrique Équatoriale Occidentale abritent encore des centaines de milliers de gorilles et de chimpanzés, mais nous constatons également que la plupart de ces primates vivent en dehors des zones protégées et sont donc vulnérables au braconnage, aux maladies, ainsi qu’à la dégradation et à la perte de leur habitat. Ces conclusions vont permettre d’orienter les stratégies de gestion nationales et régionales qui protègent l’habitat restant, renforcent les efforts de lutte contre le braconnage et limitent les répercussions du développement sur les grands singes et les autres espèces. »
 
Même si la plus grande partis de ces grands singes a été trouvé en dehors des zones protégées, il est clair qu’ils se trouvaient principalement dans les grands blocs forestiers (par opposition aux forets fragmentées), à distance des zones d’activités humaines, et dans et à proximité des aires protégées. Ce constat tend à démontrer qu’il est essentiel pour protéger les gorilles et chimpanzés de la région de préserver de grandes zones forestières intactes, au cœur desquelles on trouve des zones protégées servant de refuge.
 
Selon Fiona Maisels, de la WCS : « Notre étude montre à quel point il est important, dans l’intérêt des gorilles et des chimpanzés, de préserver les forêts et d’empêcher l’exploitation illégale des forêts de bonne qualité. »
 
 
L’analyse des données a également révélé que le nombre de gorilles chutait de 2,7 % par an, un constat qui justifie que cette espèce continue de figurer dans la catégorie des « espèces en danger critique d’extinction » de la liste rouge des espèces menacées de l’UICN (Union Internationale de Conservation de la Nature) et que les chimpanzés soient classés dans la catégorie des « espèces en danger ».
 
Les principaux facteurs identifiés comme responsables de la baisse du nombre de gorilles et de chimpanzés sont le braconnage, la dégradation des habitats et les maladies. Toujours dans une optique de conservation, les auteurs recommandent donc de mettre en place des plans d’aménagement du territoire à l’échelle nationale afin de tenir les activités nocives pour l’environnement, comme l’agriculture et la construction de nouvelles routes, à distance des forêts intactes et des zones protégées qui abritent gorilles et chimpanzés.
 
On constate par ailleurs clairement que les gorilles et les chimpanzés peuvent s’épanouir dans les zones patrouillées par des eco-gardes ou équivalent, en particulier les zones protégées où les forêts sont encore intactes. David Greer, du WWF, explique : « Tous les grands singes, d’Afrique et d’Asie, sont menacés par le braconnage, en particulier pour le commerce de viande de brousse. Notre étude démontre que les singes peuvent malgré tout vivre en sécurité, et donc en plus grand nombre, sur les sites où existent des patrouilles de lutte contre le braconnage, ce qui n’est pas le cas sans protection. »
 
La mise en place, dans les concessions forestières, de pratiques d’exploitation responsables qui respectent les normes du Forest Stewardship Council (FSC) par exemple, est également une priorité pour limiter l’impact sur les espèces sauvages et leur habitat (Morgan et al., 2017). Ces normes exigent que l’accès aux forêts soit réglementé, que les anciens chemins forestiers soient déclassés et que des systèmes de patrouille efficaces soient mis en place pour éviter le braconnage. Il est essentiel de veiller à ce que ces initiatives soient bien mises en œuvre.
 
Une autre menace identifiée par cette étude, et d’autres antérieures, est le virus Ebola qui est une menace égale pour les hommes et les grands singes. Poursuivre les recherches pour mettre au point un vaccin et des moyens de l’administrer reste la priorité numéro un, mais il est tout aussi important de sensibiliser les populations de ces régions afin d’éviter la propagation de la maladie et la transmission entre les hommes et les grands singes.
 
Parmi les 14 taxons de grands singes qui existent encore, les gorilles de plaines de l’Ouest et les chimpanzés d’Afrique Centrale sont les plus nombreux. Cependant, leur survie ne peut absolument pas être considérée comme un acquis car ils dépendent intimement d’un habitat abritant des ressources naturelles recherchées à l’échelle locale ou mondiale (ex. pétrole, minéraux, bois), en particulier en dehors des zones protégées, où la majorité des individus se trouvent.
 
Selon Hjalmar Kühl, de l’Institut Max Planck d’Anthropologie Evolutive : « La protection de nos gorilles et chimpanzés va nécessiter un renforcement majeur de l’engagement des politiques à tous les niveaux : national, régional et mondial. Les engagements financiers des gouvernements, du secteur privé et des organisations internationales qui œuvrent pour la sauvegarde des espèces menacées seront également essentiels pour protéger nos plus proches cousins et leur habitat. »
 
Liz Williamson, chercheur à l’Université de Stirling, et coordinatrice de la liste rouge de l’UICN pour les grands singes, explique quant à elle que « Une combinaison de pratiques industrielles responsables, de politiques de conservation, et d’un réseau de parcs et corridors bien gérés pour   fournirait aux gestionnaires de la faune la combinaison gagnante pour protéger les grands singes d’Afrique centrale. Notre étude prouve qu’il n’est pas encore trop tard pour assurer un futur aux gorilles et des chimpanzés. »
 
Les auteurs de l’étude sont : S. Strindberg ; F. Maisels ; E.A. Williamson ; S. Blake ; E.J. Stokes ; R. Aba’a ; G. Abitsi ; A, Agbor ; R.D. Ambahe ; P.C. Bakabana ; M. Bechem ; A. Berlemont ; B. Bokoto de Semboli ; P.R. Boundja ; N. Bout ; T. Breuer ; G. Campbell ; P. De Wachter ; M. Ella Akou ; F. Esono Mba ; A.T.C. Feistner ; B. Fosso ; R. Fotso ; D. Greer ; C. Inkamba-Nkulu ; C.F. Iyenguet ; K.J. Jeffery ; M. Kokangoye ; H.S. Kühl ; S. Latour ; B. Madzoke ; C. Makoumbou ; G.A.F. Malanda ; R. Malonga ; V. Mbolo ; D.B. Morgan ; P. Motsaba ; G. Moukala ; B.S. Mowawa ; M. Murai ; C. Ndzai ; T. Nishihara ; Z. Nzooh ; L. Pintea ; A. Pokempner ; H.J. Rainey ; T. Rayden ; H. Ruffler ; C.M. Sanz ; A. Todd ; H. Vanleeuwe ; A. Vosper ; Y. Warren ; et D.S. Wilkie.
 
Cette étude a reçu le soutien des organisations suivantes : l’Agence française de développement ; l’Arcus Foundation ; le programme de suivi de l’abattage illégal des éléphants (MIKE) de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) ; le Columbus Zoo and Aquarium ; Conservation International et la Margot Marsh Biodiversity Foundation ; le programme Écosystèmes Forestiers d’Afrique Centrale de l’Union européenne ; le projet Espèces Phares de l’Union européenne ; la Fondation Odzala-Kokoua ; la Fondation pour l’environnement et le développement au Cameroun ; le Fonds pour l’environnement mondial ; la Liz Claiborne and Art Ortenberg Foundation ; l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste ; le programme Lifeweb de l’Espagne et des Nations unies ; l’Aspinall Foundation ; Total (Gabon) ; la Central Africa World Heritage Forest Initiative de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture ; le Central Africa Regional Program for the Environment (CARPE) de l’Agence des États-Unis pour le développement international ; le Great Ape Conservation Fund du U.S. Fish and Wildlife Service (USFWS), l’African Elephant Conservation Fund du USFWS ; la Wildlife Conservation Society ; le Groupe de la Banque mondiale et le World Wide Fund for Nature Allemagne, Pays-Bas et USA.

Source : wcs.org

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